TOUT ÇA POUR ÇA ?

Des siècles d’attente messianique, trente années de vie cachée, trois années de vie publique, la mort sur la croix, la résurrection… tout ça pour être élevé au ciel en quelques instants — deux versets — et surtout sans le moindre effet spécial ! Pas une lumière, pas un tremblement de terre, pas une voix… tout au plus une « nuée » qui emporte Jésus au ciel, mais pas de quoi rivaliser avec le Baptême ou la Transfiguration. Si la vie de Jésus était un film, l’Ascension risquerait fort d’être coupée au montage. Les apôtres ont bien raison de regarder vers le ciel : « tout ça pour ça ? » doivent-ils se demander ; alors que leur maître les avait habitués à des signes grandioses, le voilà qui s’en va sans soigner le moins du monde sa sortie. Cette économie de moyens célestes à l’Ascension a de quoi surprendre, mais si l’on y regarde de plus près…

La volonté de Luc — seul évangéliste à relater l’Ascension — est assez claire : il ne veut pas insister sur l’éloignement de Jésus. Au contraire, il emploie tous les moyens littéraires pour focaliser notre attention sur autre chose. La réaction des apôtres est d’ailleurs assez surprenante : aussitôt que Jésus est monté au ciel, « ils se prosternèrent devant lui, puis ils retournèrent à Jérusalem, en grande joie. » Comment peuvent-ils se réjouir alors que leur maître et seigneur vient de leur être enlevé ? Luc attise la curiosité de son lecteur et clôt son évangile sur ce qu’on appellerait aujourd’hui un cliffhanger : ça ne peut pas se terminer comme ça, il va forcément se passer quelque chose !

C’est alors que commence le tome 2 de l’œuvre lucanienne : le livre des Actes des apôtres. Après une brève introduction qui a tout du « Précédemment… » des feuilletons, Luc lâche un indice : il cite des paroles de Jésus jusqu’ici inédites : « Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche : alors que Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » Et Luc prend alors un malin plaisir à raconter une seconde fois l’Ascension, mais cette fois le lecteur commence à se douter de quelque chose… Après un ultime détour narratif par le récit du remplacement de Judas, enfin, Luc raconte la Pentecôte et la descente de l’Esprit Saint sur les apôtres. Oui, tout ça pour… ça. Mais quel ça !

Le plan de Dieu est simple, il ne désire qu’une chose : s’approcher toujours plus de nous pour enfin nous combler de lui. Si nous avons l’impression que Dieu nous abandonne, qu’il ne tient pas ses promesses, qu’il nous déçoit… c’est que nous sommes en train d’oublier que le dernier mot de Dieu n’est pas l’évangile. Lorsque Jésus remonte au ciel, il n’a pas encore tout dit : il veut encore me parler, à moi, personnellement, au fond de mon cœur, par le don de l’Esprit Saint. Pourquoi restons- nous là à regarder vers le ciel, hébétés ? Qu’attendons-nous pour réclamer à Jésus ce qui nous manque ? Et si j’osais lui demander de me surprendre ?

Père Clément Ryder +